Wyrda (Le destin)

Par une fraîche matinée d'hiver, Aebori Cial Orchis passa les portes du château de Shorel'aran Kaldorei sur le dos de sa jument, Lenora. Le sol était recouvert d'un tapis de neige et la jouvencelle continua sa route jusqu'à l'orée de la forêt. Arrivée là, elle descendit de cheval, l'attacha à un arbre et continua son avancée parmis les bois.

Aebori se souvint d'une journée comme celle-ci, il y a de cela plusieurs années, quand elle vivait encore au château de ses parents. Elle s'adossa à un arbre et porta son regard vers le ciel, laissant vagabonder son esprit...

"Elda! Elda! Si vous ne vous montrez pas tout de suite, je serais contraint d'en référer au comte Cial Orchis!"

En entendant ces mots résonner dans les couloirs du château, une fillette mit la main devant sa bouche pour éviter d'éclater de rire, et de se faire repérer par la même occasion. Pour une fois qu'elle avait trouvé une bonne cachette, elle n'allait pas se priver d'aller faire un petit tour au-delà des remparts.

*Continue de parcourir ces stupides couloirs, moi je m'en vais visiter le dehors.*

Quand le précepteur fut assez loin, la fillette s'empressa d'aller dans le sens opposé. Celle-ci n'était pas banale, elle était la fille unique du comte Cial Orchis. Bien que sauvage, elle avait une bonne éducation en public, digne d'une future comtesse. Elle portait le prénom de son arrière-grand-mère, Aebori, descendante des elfes de la forêt noire. Mais alors pourquoi habiter si loin de la forêt me direz vous ? Tout simplement parce qu'elle n'est pas une elfe. Certes le sang de ce peuple grâcieux coule dans ses veines mais son père était humain.

Mais revenons à la fillette : Aebori tomba sur une porte fermée lorsqu'elle voulut sortir. Mais cela ne la retint pas longtemps, elle posa la paume de sa main droite sur la poignée et murmura "Jierda!". La porte s'ouvrit et l'enfant put savourer une liberté acquise par la ruse.

Aebori partit se promener dans le petit bois jouxtant le château. Dans l'inconscience de sa jeunesse, elle ne fit pas attention aux traces qu'elle laissait derrière elle, ni au fait que des yeux remplit de haine la suivaient.

Arrivée dans une petite clairière, elle s'asseya contre un arbre et observa la nature environante. Plus loin, une petite masse attira son attention. Aebori s'en approcha et vit un petit oiseau cherchant sa nouriture. En la voyant si près de lui, l'oiseau s'envola sur une haute branche et observa la fillette. Celle-ci tendit la main vers lui en prononcant des mots apaisants dans une langue inconnue.

"Ferthblaka, eka weohnata néiat haina ono. Blaka eom iet lam."

L'oiseau déploya ses ailes et se posa sur la main d'Aebori.

"Atra nous waise fricai."

L'animal commença à chanter pour sceller cette nouvelle amitié. Aebori sourit et revint s'adosser contre un arbre, écoutant le chant de l'oiseau. Bientôt, l'enfant s'endormit...

Dans les temps présents, la jeune femme fut alertée par un craquement de branche.

"Qui va là ?"

Avant même qu'elle ait pu faire un pas ou dire quelque chose, elle sentit ses paupières se fermer. Un sort de sommeil ! Et zut, elle ne l'avait vraiment pas vu venir. Quelques instants plus tard, la jeune fille tomba comme une masse sur le sol et se trouva projetée dans un rêve des plus étranges...

Oh fraîche douceur d'une matinée de Logalios,
Recelant en ton coeur un trésor enfoui...

Je me trouve seule, au milieu d'une mer de poussières. Mais je n'ai pas peur, non, au contraire, je suis là pour une raison...

Oh douce torpeur d'un soleil sur Danurmos,
Attirant vers toi les secrets de ton lit...

J'entend, je sens, je sais qu'on n'attend que moi, qu'on appelle mon âme, pour m' offrir le don éternel...

Oh triste lueur d'une soirée de Goliarmos,
Voyant disparaître sous ton âme ce don si chéri...

Je le vois, je le sens, mille visages, mille images, m'appelant sans répit. Mon coeur est rejeté, mais mon âme, elle, est éternelle...

Je suis une âme voguant au gré du vent et des chants des sirènes au dessus de la mer. Le temps est calme, la brise est douce, et les sirènes chantent pour moi. J'ai presque envie de m'enfouir dans cette mer, d'explorer les moindres secrets marins, de changer d'air.

Mais la terre m'appelle. Pas un sentiment d'appartenance à une race terrestre, non, un sentiment bien plus intuitif, un sentiment direct, une sensation crispée, un appel à l'aide, un cri, un hurlement, une plainte lointaine. Le vent s'active, les sirènes taisent et disparaissent sous la surface marine, et je suis projeté à une vitesse vertigineuse en direction du continent, à seulement quelques mètres de la surface marine.

Un cri, un cri à l'horizon.

A la vitesse du vent, j'atteind puis dépasse les plages kohriennes, pour m'engager dans les champs et chemins enneigés de l'Empire. Les paysans défilent sous mon regard, mais personne ne percute ma présence. Je suis une vision, une âme, une ombre volante à la vitesse du vent, traversant toutes les contrées impériales.

Le cri se fait de plus en plus fort, un cri de désespération.

Les prairies enneigées laissent place à la végétation caractéristique d'une saison froide, et les tours magiques de la ville des Chimères me confirme ma position.

Le cri devient plus net... à gauche !

Je tourne brusquement à gauche, inexorablement attiré vers cet appel qui a atteint la mer. La voix a l'air d'être enfantine, très enfantine, peut être que...

Les villes sont laissées derrière, et l'immensité du désert commence, désert aussi vide que puissant est le cri qui le survole, et qui m'entraîne malgré moi vers sa partie la plus dangereuse, la mer de poussière...

... peut être même que c'est la voix d'une fille, mais alors comment aurait elle fait pour porter si loin son appel ?

Je ne réfléchis pas, je ne le peux pas, avançant sans arrêt vers l'origine de cet appel. Le hurlement atteint le sommet du supportable, et je rencontre alors au milieu d'une violente tempête de sable, en plein milieu de la mer de poussière, un elfe étendu sur le sable, bouchant ses oreilles. Et à ses cotés...

... une petite fille, une petite fille portant une simple petite robe verte, qui tient fermement un objet dans sa main, et qui fait exploser sous la puissance et la violence du vent.

Je tourne autour de l'elfe et de la petite fille, observant comment sa voix s'intensifie continuellement, jusqu'à finalement s'éteindre. Le vent se couche alors, et la petite fille laisse tomber à ses cotés son jouet, un pendentif de rêveur. J'approche alors son visage, et remarque qu'elle pleure abondamment, même si ses yeux brillants et ses petites lèvres dédient un sourire triste à l'elfe.

"Nous sommes peut être déjà morts..."

Et subitement, elle se laisse tomber en arrière, les deux bras écartés, et sans cesser de verser des larmes, ses yeux se fermant alors tandis que son petit corps s'enfonce lentement mais inexorablement dans le sable...

Aebori se leva soudainement en sueur. elle avait quitté le rêve et jeta un oeil terrifié aux alentours. Elle n'avait pas quitté la forêt et se trouvait exactement à l'endroit où elle était tombée. Mais alors, pourquoi tant de mystère pour l'endormir... Et que signifiait ce rêve ?

Les mois passèrent après qu'Aebori ait fait le rêve étrange de la petite fille à la robe verte. Elle ne savait toujours pas ce que cela signifiait et semblait mélancolique à chaque fois qu'on pouvait la voir. Les membres de l'Ordre étaient même inquiets pour elle car elle ne semblait plus avoir sa joie de vivre. L’elfe n’était plus que l’ombre d’elle-même…

Un jour, le temps était à la pluie et un cavalier entra dans le château, portant un message urgent de la part de la grande forêt. On vint chercher Aebori car le message lui était adressé et cela semblait urgent.

« Ma chère petite fille,
La grande forêt de nos ancêtres n’est plus la même depuis que tu es partie : des ombres envahissent nos songes, nous empêchant de trouver le sommeil. La magie perd peu à peu de son pouvoir et les plantes se meurent. Il est temps pour toi de revenir parmi les tiens, nous t’attendons.
Findoriel Urelwin. »

Lorsqu’elle vit ces quelques lignes, Aebori sentit son cœur se serrer. Est-ce que cela avait un lien avec la petite fille à la robe verte ? Etait-ce un signe ? L’elfe prit son cheval et chevaucha en direction des terres de ses ancêtres, sans mot dire aux seigneurs des Shorel’aran Kaldorei. Après plusieurs jours de cavalcade, la foret fut en vue. Aebori voyait les arbres verts se rapprocher de plus en plus mais, arrivée à leur hauteur, ils n’étaient plus que des arbres desséchés, aigris par le temps devenu trop dur. L’elfe fut conduite devant sa grand-mère, qui l’avait appelée.

« Aebori, chérie, te voilà enfin. Nous désespérions de te revoir un jour, que nous vaux ta visite ? »

« Mais, vous m’aviez envoyé un message… Vous vous en rappelez ? »

« Un message dis tu ? Que cela est étrange, rien de tel ne t’as été envoyé. »

Aebori regarda sa grand-mère dans les yeux, elle ne mentait pas. Mais alors qui ?
L’elfe fut conduite dans sa chambre, qui avait été gardée impeccable jusqu’à son retour. Elle n’avait pas la nostalgie du moment, comme si elle était dans un rêve. Que pouvait donc signifier tout cela ? On toqua alors à sa porte.

« Ma chère demoiselle, je suis heureux de vous revoir en ces lieux. »

« Batsuo… Que me vaux ces salutations ? »

« Enfin, Aebori, tu sais que nos parents nous ont destiné l’un à l’autre, je ne fais que… »

« ARRETE, je ne suis pas d’humeur à écouter tes simagrées, laisse moi. »

Batsuo semblait résigné devant le ton qu’avait employé sa « fiancée » et il referma la porte derrière lui. La jeune elfe s’effondra alors sur son lit et fixa le plafond étoilé…

Le sommeil de la jeune fille fut à nouveau troublé par la vision de cette petite fille en robe verte. Elle s'agita pour tendre sa main vers elle mais l'enfant s'éloignait et s'éloignait encore, avec toujours le même mot sur les lèvres : mort. Quand Aebori se réveilla, elle avait l'impression d'être vidée d'elle-même, comme si son âme n'était plus rien. Elle se leva alors et herra dans les couloirs de la maison elfique, en plein millieu de la forêt. Qui pourrait bien la délivrer de ce lourd fardeau qu'elle portait ? Elle n'en pouvait plus de se sentir vide de toute émotion...

"Oups, pardon, je m'excuse, je ne vous avez pas vu..."

Les yeux de l'elfe croisèrent ceux d'un être étrange. Bien qu'il ait une apparence pour le moins spéciale, le jeune garçon en face de lui dégageait une aura lumineuse, comme s'il était pur de toute méchanceté.

"Je... Vous... Je..."

"Ce n'est pas grave, ne vous excusez pas pour si peu."

Aebori continua son chemin, laissant le jeune homme la suivre du regard jusqu'à ce qu'elle ait disparue de sa vision.

Depuis qu'elle était revenue dans la forêt noire, Aebori errait dans les allées vertes des jardins somptueux. Sa mélancolie était toujours intacte et elle se demandait comment elle avait pu venir alors que personne ne semblait l'avoir appelée. Ses rêves de la petite fille étaient multipliés, ne lui laissant que peu de temps au sommeil, et Batsuo venait la voir tout les jours, la harcelant à propos d'un mariage dont elle ne voulait pas entendre parler. Parfois, l'elfe se sentait observée et elle regardait derrière elle mais il n'y avait personne. Dans ces cas là, elle attendait derrière une colonne de marbre en essayant de surprendre son poursuivant mais il n'y avait jamais rien qui arrivait. Un jour... pourtant... elle observa un jeune homme qui jardinait.

"Ces plantes sont très belles, vous en prenez grand soin à ce que je constate."

"Vous vous trompez... Elles se meurent..."

"Savez vous ce qui leur arrive ?"

"Non, c'est comme si... elles étaient tristes..."

Le jeune homme se retourna alors et prit peur en constatant que c'était Aebori. Il manqua de tomber mais elle le rattrapa.

"Mais qu'est-ce que ?"

"Je suis désolé."

L'elfe lui lâcha le bras, le laissant partir à toute jambe. Elle murmura "De quoi es-tu désolé ?". Aebori ne le revit plus avant plusieurs semaines... Entre temps, sa grand-mère l'avait fait appelée.

"Ma chérie, comment ton séjour se passe-t-il ?"

"Je ne trouve pas les mots pour le dire, je me sens vidée."

"Ah je vois, ce doit être les préparatifs du mariage qui te fatiguent autant."

"Mariage ? Quel mariage ?"

"Celui qui a lieu demain, ton union avec Batsuo El'Enyr. Voyons ma chérie, tu ne peux l'avoir oublié..."

Aebori regarda sa grand-mère d'un air effrayé, son mariage ? Demain ? Non, cela était impossible ! Elle avait toujours refusé les avances de Batsuo et n'avait jamais donné son accord pour qu'une telle célébration ait lieue. Ou alors elle était devenue folle ? Non, jamais ! Aebori partit de la salle, au bord des larmes, et elle alla se cacher dans les branches des arbres du jardin qu'elle aimait tant. Là, elle ne se retint plus et les sanglots coulaient à flot. Mais que lui arrivait-il ? Elle ne se reconnaissait plus. Comment ce mariage avait-il été prévu sans qu'elle n'en sache rien ?

"Ne t'en fais pas, ça va aller."

Cette voix si récomfortante fit sursauter Aebori. Elle regarda celui qui prononçait ces paroles : le jeune homme qui avait eu si peur d'elle. Mais ce n'était pas à elle qu'il parlait, mais à une fleur. Aebori l'observa alors un peu mieux : le garçon avait des ailes de chair dans le dos, ses cheveux étaient bleu clair et sa façon de parler à la fleur était si apaisante qu'elle s'endormit... tombant de son arbre. Mais on la rattrapa de justesse et elle fut emmenée quelque part.

Quand l'elfe se réveilla, elle se trouvait dans une sorte de hutte en bois, au milieu de la forêt. Elle demanda quel jour on était et on lui répondit qu'elle n'avait pas à s'en faire, que personne ne la trouverait. Elle tenta alors de se lever, juste pour voir qui parlait. C'était le jeune homme aux fleurs.

"Qui es-tu ?"

"Je m'apelle Kam, jardinier de la forêt noire. Tu tombais de l'arbre, je t'ai rattrapée et menée ici. Tu peux te reposer maintenant."

"Kam... merci de t'être occupé de moi, mais comment sais tu que je suis tourmentée par le fait qu'on ne doit pas me trouver ?"

"Les fleurs me l'ont dit. Tu as peur parce que tu dois épouser quelqu'un que tu n'aimes pas. Et tu fais des rêves étranges aussi."

"Mais comment ... ?"

"C'est pour cela que je t'ai dit que j'étais désolé... C'est un peu ma faute si tu fais des rêves bizarres."

Aebori se redressa sur sa couche, regardant Kam avec des yeux emflammés.

"Explique toi !"

"Je ne le peux pas, hélàs... Mais je peux te dire que tes rêves sont réels, tu dois retrouver cette petite fille."

Quand l'elfe allait ouvrir la bouche pour lui demander comment, tout se brouilla et elle se retrouva dans sa chambre... Mais pas n'importe laquelle, celle du château de son père, le comte Cial Orchis...

Aebori se leva, n'en croyant pas ses yeux d'être au château de son enfance alors qu'elle se trouvait dans la forêt noire quelques secondes plus tôt. Elle se souvenait très bien de la voix de Kam lui disant de retrouver la petite fille. Se demandant si elle ne faisait pas encore un rêve, elle se gifla. Mais l'elfe resta face à la douleur, sans que rien vienne perturber la réalité : elle était bel et bien au chateau des Cial Orchis.
On toqua à la porte, Aebori autorisa la personne à entrer. C'était son père.

"Ma petite fille, j'espère que tu vas bien, tu es partie subitement de table en prétextant te sentir mal..."

"Je vais bien, père, ne vous soucier pas autant pour moi."

"Très bien, alors commençons si tu le veux bien."

Aebori se leva et suivit son père dans la salle de musique. Elle savait que dans son enfance, ses seuls moments avec son père étaient quand il lui apprenait à jouer de divers instruments. Quand ils arrivèrent dans la pièce, l'elfe n'en croyait pas ses yeux. Devant elle se trouvait Kam. Elle le pointa alors du doigt, ouvrant grand la bouche pour lui demander ce qu'il faisait là mais...

"Ne reste donc pas ainsi, tu vas avaler une mouche."

"Mais qu'est-ce que tu...?"

"Il a raison ma chérie, ce n'est pas digne d'une future comtesse."

La leçon de harpe commença alors. Aebori se mit sur son tabouret et fit glisser ses doigts sur les cordes de l'instrument, laissant une douce mélodie s'emparrer de l'espace. Kam la regardait et cela la perturbait, comment se faisait-il que cet homme soit là alors qu'elle n'avait aucun souvenir qu'il connaisse son père ? Après une heure, Darius (le père) sortit de la pièce, décrétant que sa fille avait terminé sa leçon. Aebori se jeta alors sur Kam avant qu'il ne parte.

"Mais pourquoi es-tu là ?"

"C'est évident non ? Je viens t'aider à trouver la petite fille."

"Je n'ai pas besoin d'être aidée."

Elle tourna le dos à Kam. Celui-ci l'entoura de ses bras et lui murmura.

"Tu es sûre ?"

La jeune fille se retourna subitement et le gifla.

"Qui te permet d'être aussi familier avec moi alors que je ne te connais même pas ? Qui es-tu donc ?!?"

"Oui... tu as raison... tu ne me connais pas..."

Le regard de Kam s'assombrit de tristesse, ce qui adoucit Aebori. Elle s'excusa de l'avoir frappé et l'invita à venir se restaurer avec elle. Il sourit en lui disant qu'ils pourraient faire connaissance autour d'un bon repas. Ils se dirigèrent alors vers la salle des banquets et s'installèrent l'un en face de l'autre. Le repas se passa bien, ils riaient, se taquinaient, parlaient de choses et d'autres comme si...

"J'ai l'impression que... non rien."

"Va y, dis."

"J'ai l'impression de te connaitre, que j'ai déjà passé énormément de temps avec toi alors que je viens à peine de te rencontrer."

"Peut-être que tu as juste besoin de te rappeler."

Les derniers mots de Kam ne parvinrent pas aux oreilles de l'elfe, qui était fort troublée par ce soudain frisson qu'elle avait ressenti il y avait à peine quelque instants. Elle se demandait vraiment si elle ne connaissait pas cet homme d'ailleurs...

« Nous sommes peut-être déjà morts »

« Qui es-tu ? »

La petite fille s’éloignait de l’elfe au fur et à mesure que celle-ci avançait pour la rattraper, quand soudain…

« Aaaaaaaaah »

Aebori tomba en bas de son lit, l’air effrayée. Elle avait ouvert les yeux, sortit de son sommeil, pour trouver Kam, allongé sur son lit juste à côté d’elle. L’elfe se prit la tête entre ses mains, essayant de se souvenir de ce qui s’était passé la veille mais rien ne lui vint en mémoire. Elle se releva et regarda le jeune homme.

« Il n’y a rien eu si tu veux savoir. »

« Que quoi ? »

« Tu te demandais ce que t’avais bien pu faire, je te réponds. »

Kam avait ouvert les yeux et la regardait en souriant. Son sourire était tellement apaisant qu’Aebori se mit à sourire elle aussi. Qu’est ce qu’elle avait pu avoir l’air ridicule, comme si il y avait pu avoir quelque chose… Mais attend… Pourquoi était-il là alors ?

« Oh ça, ben euh… Je n’avais pas de chambre de prévue et tu m’as invité à dormir avec toi. »

Il avait dit ça avec tellement spontanément qu’elle avait manqué de le croire. Mais elle le poussa hors du lit.

« Tu crois vraiment que je vais gober ça ? »

Aebori saisit son oreiller de plumes et commença à frapper Kam. Ils se battirent donc comme des enfants pendant plus de deux heures et éclatèrent de rire lorsqu’ils n’eurent plus de force pour agiter leurs armes de fortune. L’elfe avait encore eut la sensation de normalité dans ce qui s’était passé et elle ne savait pas pourquoi Kam lui inspirait tant de joie et de bonheur. Peut-être était ce à cause de la joie de vivre de cet être hors du commun. Le jeune homme lui tendit alors la main.

« Viens avec moi, je vais te montrer quelque chose. »

L’elfe saisit cette main chaleureuse et Kam ouvrit la fenêtre pour déployer ses ailes dans la nuit sans nuages. Il porta la jeune fille dans ses bras et plongea dans le vide. Aebori avait fermé ses yeux car elle avait peur. Mais ce n’était pas la peine, ils planaient maintenant sous les étoiles. L’elfe était émerveillée par tant de lumière et Kam regardait droit devant lui. Il s’arrêta lorsqu’ils arrivèrent sur une petite colline.

« Voilà. »

"Je suis très heureuse que tu m'ais montré cela, je te remercie."

Le jeune homme regarda Aebori avec des yeux remplis de tristesse. L’elfe demanda alors pourquoi il avait l’air si triste. Et il lui répondit…

« Parce que tu as oublié… »

« Qu’ai-je oublié ? »

Kam parlait d’une façon si énigmatique pour la jeune fille qu’elle ne saisit pas vraiment le sens de ces paroles. Mais tout devint flou et elle retomba dans le sommeil le plus profond.

Lors de son réveil, Aebori eut du mal à ouvrir les yeux. Elle sentait qu’elle se trouvait encore dans un endroit différent et voulait garder en mémoire le visage de Kam. Dans sa main, elle tenait une sorte de médaillon mais ignorait d’où il provenait. L’elfe se décida à ouvrir les yeux lorsqu’elle entendit des bruits de métal s’entrechoquant venant de l’extérieur. Elle se trouvait dans sa chambre, au château des Shorel’aran Kaldorei. La jeune fille se leva et ouvrit la fenêtre, observant les chevaliers s’entrainer dans la cours. L’envie lui prit alors de se joindre à eux. Elle s’habilla donc, emportant son épée. Aebori descendit les escaliers et passa la petite porte arrière qui menait à la cours pour y trouver Pennlossion, Neoleroi, Tadgar et bien d’autres membres de l’ordre.

« Tiens, mais qui donc vient nous rejoindre en quittant le confort de sa chambre ? »

Le seigneur Pennlossion souriait en voyant que l’elfe avait revêtu sa tenue de combat pour se joindre à eux. C’est vrai qu’elle n’était plus vraiment apparue depuis la guerre contre l’Ordre des Moniaques. Trop de choses à faire sans doute. Il n’empêche qu’elle avait causé du souci à nombre des chevaliers présents à cause de sa mélancolie pour le moins inhabituelle. Aebori saisit alors son épée, qui brillait d’un bel éclat bleuté, et la tourna vers lui.

« Je viens m’entrainer, seras-tu capable de me battre ? »

On assista bientôt à une véritable bataille de volonté. Les deux chevaliers ne voulaient pas céder une once de terrain à son adversaire. Ce n’était pas un simple combat d’escrime, mais aussi un duel magique, chacun essayant de contrôler l’esprit de l’autre pour espérer avoir le dessus. Cela semblait, au début du moins, être un combat inégal car l’un était un homme tandis que l’autre était une femme. Mais on vit bientôt que cela ne semblait pas si facile de savoir qui allait gagner. Après plusieurs heures, quand le soleil allait se coucher, le seigneur Tadgar interrompit la rencontre pour que tous puisse aller se restaurer. A table, la discussion allait bon train, passant de débats tactiques aux compliments sur la bataille d’entrainement menée par les deux compères. Puis, Aebori tendit l’oreille car une discussion l’avait attirée. On parlait d’un désert de poussière, situé à plusieurs kilomètres du château, qui venait de s’installer comme s’il venait de nulle part. Intriguée, elle demanda quelques informations supplémentaires à Myrhdyn. Quand le diner se termina, l’elfe retourna dans sa chambre. Lorsqu’elle entra, elle vit le pendentif sur son bureau. La jeune fille s’en approcha pour l’examiner. Au dos, on pouvait lire une inscription.

« K & A, à jamais et pour toujours. »

Ses yeux s’écarquillèrent, jamais encore elle n’avait vu un tel bijou dans ses mains. Pourquoi maintenant ? Elle tenta d’ouvrir la boite mais n’y parvint pas. Tout ceci était tellement irréel qu’elle se laissa aller sur son lit et ferma les yeux. Cette fois-ci, à son réveil, elle était toujours au même endroit. On vint la chercher pour une partie de chasse mais elle refusa, prétextant un étourdissement. Quand le calme s’installa dans le bâtiment, Aebori descendit aux écuries et trouva sa jument, Lenora. Elle avait une envie irrésistible d’aller voir ce désert de poussière…

Le désert de poussières, immensité du décor ne laissant aucune chance de survie à quiconque s’aventure dans ses terres. D’ une part il y fait très chaud (ben oui, c’est un désert), d’autre part les grandes tempêtes de poussières pourraient vous faire perdre la vue à tout jamais, vous condamnant à y errer pour l’éternité. Aebori se trouvait juste à la limite de ce désert, observant les lointaines dunes. Elle avait emporté avec elle le petit médaillon, non pas qu’il lui soit d’une grande utilité mais parce qu’il lui donnait du courage. Pendant la chevauché, elle avait réfléchis sur les initiales « K & A ». Ce qu’il en était ressorti est que le K voulait dire Kam et le A, c’était elle-même. C’est ce qu’elle voulait croire du moins, car ce jeune garçon lui conférerait assez de courage pour affronter cette immensité désertique et assez d’espoir pour en ressortir vivante.

« Allez… Allons-y… »

Aebori descendit de cheval et autorisa Lenora à aller où bon lui semblera, mais pas avec elle, cela était trop dangereux. L’elfe avança alors dans le désert. Pour le moment, cela allait, le soleil était assez bas et ne conférait pas assez de chaleur pour qu’elle cuise sur place, et le vent ne soufflait pas un grain de poussière dans les yeux bleus de la jeune fille. Soudain, elle entendit comme un chant.

« Oh fraîche douceur d'une matinée de Logalios,
Recelant en ton coeur un trésor enfoui...
Oh douce torpeur d'un soleil sur Danurmos,
Attirant vers toi les secrets de ton lit...
Oh triste lueur d'une soirée de Goliarmos,
Voyant disparaître sous ton âme ce don si chéri... »

L’âme de l’elfe était comme remué par de telles paroles, elle s’y reconnaissait un peu car le trésor enfoui... C’était… C’était… Aebori n’eut pas le temps de terminé sa phrase qu’elle se sentit emportée dans les airs. Elle tenta de crier mais n’en eut pas l’occasion car elle reconnut tout de suite la personne : Kam, bien sûr.

« Qu’est ce que tu fais là ? »

« Je ne pouvais pas te laisser seule face à tant de problèmes, c’est au dessus de mes forces. »

A ces mots, l’elfe ferma les yeux. Elle se sentait en sécurité maintenant. Le soleil était maintenant haut dans le ciel mais les deux jeunes gens ne se trouvaient plus dans le désert. A l’abri des arbres d’une clairière, près du château de Shorel’aran Kaldorei, Kam daigna enfin lâcher la jeune fille.

« La prochaine fois que tu décides de t’aventurer dans le désert de poussière, je viendrai avec toi. Mais maintenant, tu n’en es pas encore capable. »

« C’est à moi seule de juger si j’en suis capable ou non. »

« Non… tout ne s’est pas encore réalisé. »

Aebori repensa à la chanson qu’elle avait entendue. Le trésor enfoui… La jeune fille chercha dans sa poche le médaillon qu’elle avait trouvé et le montra à Kam.

« Qu’est-ce que cela signifie ? Dis le moi je t’en prie. »

Les yeux d’Aebori commençaient à s’humidifier sans qu’elle ne sache pourquoi. Kam sourit.

« Tu le sais aussi bien que moi, tu commences seulement à t’en apercevoir mais moi… je ne t’ai pas oubliée. »

Le jeune homme attira l’elfe à lui et la serra dans ses bras, repliant sur eux ses ailes de chair pour les protéger du soleil. Aebori ferma les yeux et commença à sangloter doucement. C’était comme dans un rêve, sauf que celui-ci était bien réel. La damoiselle avait le cœur enflammé, elle savait ce que signifiait ces paroles, elle savait qu’elle aimait. Juste qu’elle n’avait jamais espéré que cela arrive, et elle n’était plus vide d’elle-même.

La chaleur que dégageait le corps de Kam remplit l’elfe de bien-être. Elle ne voulait plus bouger de là où elle était, se sentant en sécurité. Soudain, elle eut un frisson. Kam lui demanda si elle avait froid, mais ce n’était pas du tout cela, au contraire, elle brulait. Alors, dans une impulsion soudaine, Aebori leva sa tête pour ensuite poser ses lèvres sur celles du jeune homme. Cela ne lui ressemblait pas, elle la froide elfe au cœur de glace. Mais elle se foutait désormais de la réputation que devait tenir une future comtesse, elle aimait cet homme…

Aebori était maintenant endormie dans les bras de Kam. Ce dernier la porta jusqu’aux portes du château où il fut arrêté par les seigneurs eux-mêmes, revenant de la chasse. Tadgar s’avança alors, regardant le jeune homme s’approcher sans siller.

« Qui êtes vous pour nous ramener ainsi la dame des Shorel’aran ? »

« Je suis Kam, guerrier du peuple des Dragoons et... Non… Je vous confie dame Aebori Cial Orchis. »

Sur ce, Kam passa Aebori à l’un des chevaliers, déploya ses ailes et partit sans prononcer un seul mot de plus. Alors, l’elfe s’agita et prononça son nom. Elle fut conduite dans sa chambre, où elle fut allongée et couverte jusqu’à son réveil.

Aebori regardait dans toutes les directions mais c’était le noir absolu. Elle avait peur mais gardait la tête haute. Derrière elle se tenait un homme… un homme qu’elle connaissait, mais pas de bon gré. Il lui demandait et redemandait d’être sa femme. Cet homme, c’était Batsuo. L’elfe courait pour le semer mais il arrivait toujours à la rattraper. Soudain, elle s’effondra, se recroquevilla et posa les mains sur la tête en hurlant qu’il devait arrêter de la torturer ainsi, que cela ne servait à rien. Puis…

Pennlossion l’avait réveillée, elle semblait faire un cauchemar alors il l’avait tirée du sommeil. Aebori le regarda mais ne vit que le reflet de Batsuo. L’air effrayée, elle lui demanda de partir mais il la prit dans ses bras en lui tapotant dans le dos, lui disant qu’il ne fallait pas qu’elle s’inquiète, que tout allait bien. Quand elle se calma, on lui raconta comment elle était revenue au château et on lui demandait qui était ce mystérieux jeune garçon. Aebori fut alors saisie d’un doute, elle avait déjà entendu parler des Dragoons, ce peuple paisible de la mer… de poussière ! Elle se releva subitement mais fut retenue par plusieurs chevaliers. Ils avaient reçu l’ordre de ne pas la laisser filer.

« Laissez moi, je dois y aller ! »

« NON ! »

Aebori reçut une gifle de Tadgar, elle resta un moment sans voix. Pourquoi cet homme de nature si calme l’avait-il frappée ? Celui-ci se rappela alors d’une parole prononcée par le jeune garçon ailé : Ne la laissez pas partir pour le désert, pas tout de suite.

« Je suis navré, mais tu es encore sous le choc, alors tu te dois de reprendre des forces. Ne pense pas que nous nous fichons de ta santé, nous sommes une famille, ne l’oublie pas. »

L’elfe hocha la tête pour signifier qu’elle avait compris et qu’elle n’en ferait plus qu’à sa tête dorénavant. Plusieurs jours passèrent, Aebori restait là, assise dans son lit et regardant par la fenêtre, espérant voir une silhouette ailée s’approcher du château…

Flash-Back

Une belle matinée d'été que celle-ci. Les jardins du château du comte étaient ruisselant de rire et de chants. Il y avait là une fête de grande anvergure car un héritier était né... ou plutot une héritière. Quand on s'approchait des remparts, on pouvait voir Darius poser un baiser sur le front de Lyssandra, une elfe de sang pur, qui tenait dans ses bras un nourisson d'à peine quelques jours. Solianas, comme ils disaient dans la forêt noire, l'équivalent du mois d'aout chez les hommes. C'était bien la première fois que la saison du zénith ait une si bonne nouvelle à apporter, elle qui d'habitude ne donnait que sécheresse... Le nom que portait l'enfant était celui de son arrière grand mère, Aebori. Mais son véritable nom, celui qui révèlerait sa véritable nature... était inconnu.

Quelques années plus tard, lorsqu'elle eut grandit, on lui présenta un petit garçon du même age. Elle était affublée d'une jolie robe verte et ses cheveux cascadaient dans son dos, couleur du soleil. Le petit garçon, lui, faisait la tête tout le long de l'entrevue, où les adultes parlaient de choses et d'autres. Quand soudain, on parla à la fillette.

"Hé bien ma chérie, te voilà fiancée."

La petite fille regarda son père, étonnée car elle ne savait pas ce que ce mot voulait dire. Fiançé ? C'est bien d'être fiançée ? Ca se mange ? Est-ce amusant ? Aebori ne voulait pas poser la question à son père, de peur qu'il la gronde de son manque de culture.
Le soir venu, Lyssandra vint border sa fille. L'elfe posa alors sa question.

"Dis maman, c'est quoi être fiancé ?"

"C'est quelque chose que tu devras faire quand tu seras plus grande... Disons que c'est ton destin."

"Toi aussi tu as été fiancée quand tu étais plus petite ?"

"Non."

"Alors ça veux dire que je suis spéciale ?"

"On peux dire cela comme ça."

La petite fille sourit, elle aimait bien l'idée d'être spéciale, même si elle ne savait pas ce que cela impliquait vraiment... à ce moment là du moins.

Les années passèrent, laissant grandir en paix la petite fille, qui devint bientot aussi jolie que sa mère, même en allant sur ses dix ans. Les rencontres avec Batsuo, ce petit garçon si boudeur, se faisaient de plus en plus fréquement. Il vint un jour où ils s'aventurèrent près d'un lac. Aebori en avait assez de cet enfant qui la suivait partout.

"Pourquoi me suis tu ?"

"Mes parents disent que tu es à moi alors je te surveille."

"Je suis à toi ? Je ne suis pas une poupée, quant bien même un garçon jouerait aux poupées."

"Quel est ton nom ?"

"Aebori"

"Non, l'autre."

"Quel autre ? C'est comme cela que je m'appelle et tu devrais le savoir puisqu'on se connait depuis quatre années. As tu le mémoire si courte ?"

La filette sautilla sur des rochers, manquant de tomber dans l'eau. Elle fredonnait une chanson qui lui venait de sa mère, qui parlait des mois de l'année. C'était une comtine assez simple mais difficile à comprendre pour un enfant de cet âge. Elle parlait d'un avenir incertain entre deux êtres opposés, Adurna (l'eau) et Brisingr (le feu). Le titre de la chanson... Wyrda.